dimanche 30 août 2009

Le numérique va-t-il faire disparaître le papier ?

Pendant que les géants de l'électronique, du web, de l'informatique et de l'imprimerie tentent de se tailler les parts déterminantes du marché du livre électronique, en France comme ailleurs, la question qui hante les esprits est : le livre va-t-il disparaître comme ont disparus avant lui les disques ou le cheval comme moyen de transport ?

La question est absurde. Le livre n'est pas un dispositif technologique comme les autres. Si la voiture, le téléphone à fil ou tout simplement la cuisinière se sont améliorés au fil du temps, cédant la place à des modèles plus performants, moins coûteux, plus maniables, c'est dû, en grande partie, à la longévité relativement courte de ces inventions. N'étant présents dans la vie des gens et des sociétés que depuis quelques décennies, parfois un ou deux siècles seulement, la plupart des objets et instruments technologiques que nous utilisons en sont encore à leur période initiale de transformations afin de s'adapter aux usages.

Le livre est parmi nous depuis plusieurs siècles si on ne considère que la révolution de l'imprimerie comme point de départ, mais plus de deux millénaires si l'on s'en tient au papier manuscrit. Au fil de ces centaines d'années, le livre, et le papier qui le constitue, ont subit de nombreuses mutations, d'innombrables expériences et n'ont finalement gardé que les usages que l'on en fait aujourd'hui. Le livre est ainsi constitutif de la construction de nos sociétés modernes au même titre que la pelle, la chaussure, le peigne, le verre, la fourchette et le couteau... Il est bien plus ancien que la montre, le fusil, la voiture (même à cheval), les lunettes ou le télescope. Et il est une antiquité comparé à l'ordinateur personnel, le téléphone mobile, le survêtement en élastane, l'avion ou la moto.

Alors pourquoi ce conflit entre le livre papier et le livre électronique ? Si ce n'est pas le support dont il est question, alors les enjeux du conflit reposent certainement sur le contenu. Car le livre existe en tant qu'objet singulier, vierge, sans contenu autre que celui que l'auteur(e) va y consigner. Ce qui rend le livre précieux, c'est ce qu'il y a dedans. Et ce contenu, numérisé systématiquement depuis plus de 20 ans, est l'enjeu principal de la guerre du livre numérique. Car il faut se remettre en tête que tous les contenus littéraires produits depuis l'introduction de l'informatique dans l'imprimerie et l'édition sont issus de technologies numériques avant d'être imprimé sur papier.

Ceux qui contrôlent, en amont, les sources numériques sont les véritables maîtres de l'édition et donc de la diffusion du savoir, des idées, des récits, de l'histoire avec ou sans majuscule. C'est pour détenir ce pouvoir que les géants se livrent une guerre commerciale et industrielle totale. Il n'est pas besoin de sortir d'une grande école pour comprendre ce que signifie un monopole sur la connaissance, fût-elle de la fiction. Si autrefois, les auteurs craignaient le plagiat ou le pillage en remettant leurs manuscrits aux éditeurs, cette fois, c'est aux éditeurs de craindre le pire en laissant des marchands de composants électroniques, des vendeurs de papier et des négociants de bande passante décider de la diffusion des livres qu'ils produisent dans leurs maisons.

Il est clair que les puissants Amazon, Google, Barnes & Noble, Microsoft, Sony et d'autres ne cherchent pas à défendre la diffusion du savoir et des idées. Jean-Noël Jeannenay, ancien directeur de la BNF, en faisait état récemment dans Le Figaro, répétant le message qu'il avait déjà développé dans son livre sur la question du numérique [Quand Google défie l'Europe : plaidoyer pour un sursaut, Mille et une Nuits, Paris, 2005]. Et c'est cette libre diffusion de la connaissance qu'il s'agit de protéger et non de savoir si les lecteurs numériques vont fleurir au Printemps prochain. Il ne s'agit pas non plus de rester bêtement assis sur son fauteuil et croire que tout ça va se tasser et tout reprendra comme avant après l'averse. Les corporations en marche à l'heure actuelle, dont aucune n'est française, n'ont pas besoin de savoir quel lecteur électronique est le meilleur, ni même d'un lecteur électronique, pour parvenir à leurs fins.

En contrôlant les fichiers numériques des livres, elles contrôlent l'édition, la publication et la disponibilité de ces mêmes ouvrages. Ni plus ni moins. En contrôlant le patrimoine littéraire public ou privé, elles contrôleront aussi les futures publications, l'avenir des genres littéraires, les potentiel(le)s auteur(e)s et le type de savoir(s) qui seront diffusés. La guerre actuelle est territoriale (comme toutes les guerres). Elle détermine qui contrôle quoi dans le monde numérique de demain et cela à l'insu de la volonté populaire, contre les acteurs historiques de la diffusion du savoir et sans se soucier des conséquences réelles sur les générations à venir. C'est une guerre transversale, qui s'inscrit dans la globalisation au sens où l'entendent des sociologues comme Saskia Sassen. Et c'est une guerre menée par des champions du marketing et des techniques de maximisation des profits commerciaux contre les artisans de l'édition et des métiers de valorisation des singularités esthétiques et intellectuelles.

Non, le numérique ne tuera pas le livre, ni le papier. Mais il risque bien de tuer le contenu. Car il se propose non seulement de numériser le monde de la pensée et de l'imaginaire, mais aussi de le mettre en coupe réglée afin d'en tirer le plus gros paquet de fric. Ceux et celles qui n'accepterons pas, n'auront qu'à retourner donner des cours à la fac ou au lycée. Et pour les éditeurs, la note sera salée. Faute d'avoir réussi, ces dernières décennies, à marchandiser le livre, les groupes d'édition doivent maintenant faire face aux colosses du web et de l'informatique grand public qui tentent de marchandiser ce qui est dans nos têtes. Hier, Patrice Lelay, ex-P-D.G. de TF1, prétendait vendre à Coca-Cola du temps de cerveau disponible. Demain, ce sera peut-être Eric Schmidt (actuel CEO de Google) qui proposera à Coca-Cola d'entrer directement dans nos cerveaux sans avoir besoin de les divertir, et sans faire le moindre mal...

jeudi 27 août 2009

Edition numérique : la tentation de l'open source

Licence globale et open source offrent des modèles économiques éminemment intéressants pour le développement de propriété intellectuelle. Quoi de plus normal de les voir portés sur le devant de la scène comme modèles économiques potentiels pour l'édition de livres numériques.

La licence globale est un concept simple et particulièrement attractif. Tous les auteurs sont rémunérés sur un prélèvement direct sur les recettes des diffuseurs et des opérateurs. Le système est juste puisqu'il dit clairement une réalité souvent occultée : le contenu détermine la qualité du service. Mieux, le contenu est la seule qualité du service. Sans contenu, le service devient donc inutile. Il est logique d'attribuer une part des bénéfices du service à ceux et celles qui ont produit le contenu. C'est théoriquement le système adopté par des organismes de gestion de droits comme la SACEM. En pratique, les dérives sont nombreuses et la licence globale a cela de pervers qu'elle bénéficie essentiellement aux entités juridiques mandatées et à la frange minoritaire des auteurs ayant la meilleure notoriété, amplifiant d'autant leur influence.

L'open source procède d'un autre principe qui pourrait être comparé à celui des artistes d'antan qui devaient d'abord composer et en cas de succès recevaient une compensation financière ou en nature, voire des bénéfices indirects. L'open source procède donc de ce principe de montrer pour être apprécié. Mais contrairement aux usages de ce procédé vernaculaire, l'open source est également un consensus général d'une profession, ou plutôt d'un secteur complet et complexe. Il s'agit d'un système spontané de veille et de recherche et développement collectif, pluriel et sans réel contrôle. Essentiellement alimenté par les contributions des acteurs effectifs du monde de l'informatique, l'open source est un front constant d'innovations qui bénéficient à la fois aux développeurs qui contribuent mais aussi à l'ensemble de la filière, voire du secteur entier avec des débordements éventuels. Doté de règles informelles mais codifiées de propriété, l'open source peut apparaître gratuit ou relativement peu onéreux. Mais l'absence de transaction commerciale ne signifie pas l'absence d'économie réelle et marchande.

Les deux modèles sont apparentés et pourraient préfigurer un nouveau modèle économique pour bien des secteurs de pointe où le développement et la nécessité d'un travail en constant renouvellement sont de rigueur. Malheureusement, le principe de licence globale reste circonscrit à des problématiques d'attributions de droits de propriété intellectuelle et l'open source continue d'être financé en partie sur les salaires que versent les PME et les grands groupes de l'industrie informatique aux développeurs, ou bien sur les deniers publics qui financent les cycles longs de ces mêmes professions. Plus rarement, l'open source est financée sur le temps libre de contributeurs. En dépit de ce manque absolu de soutien économique réel (à quelques exceptions près) de la part de l'industrie elle-même, l'open source continue d'essaimer et de faire progresser, par principe mécanique, les plus gros opérateurs de cette même industrie.

On peut donc se demander si l'open source et la licence globale ne seraient pas des composantes probantes pour le secteur de l'édition qui devient la cible de choix de la numérisation des contenus. En effet, en appliquant le principe de l'open source, il serait possible de publier une œuvre, section par section et examiner étape par étape le progrès de l'audience et bénéficier des réactions et des commentaires des lecteurs. L'éditeur serait alors une sorte d'animateur de communauté spécialisé autour du ou des auteurs qu'il ou elle aurait à faire connaître du public.

Au fur et à mesure de la constitution d'un public, il serait alors possible de valoriser l'œuvre et moyennant une prise de responsabilité des lecteurs vis-à-vis de l'auteur, il serait possible d'envisager une rémunération directe. En introduisant le mécanisme de la licence globale dans l'équation, il serait même envisageable de libérer les lecteurs d'un prise de responsabilité financière, ou plus simplement d'un achat, en rémunérant l'auteur sur une part du prélèvement échut pour la licence globale et permettant de jouer complètement sur le levier de la gratuité.

On peut alors imaginer les sociétés d'édition comme d'authentiques sociétés de lecteurs, regroupés autour d'éditeurs-animateurs et d'un ou plusieurs auteurs. Rejoignant parfaitement le concept communautaire, ces sociétés pourraient même être coopératives ou collaboratives, permettant aux lecteurs de préfinancer des auteurs comme des sociétés de lecteurs financent des journaux, ou bien même de collaborer à l'écriture par divers degré d'interaction et d'échanges. Dans certains cas, il serait même difficile de distinguer les auteurs, les éditeurs et les lecteurs-contributeurs.

Dit comme cela, c'est plutôt séduisant. Mais il y a une fausse note dans la partition : le livre, même collectf, n'est pas un produit de consommation. On peut débattre ad vitam sur la frontière entre un produit de consommation et un livre et n'arriver à aucune solution, sinon des polémiques sans fin et des antagonismes irréconciliables.

En revanche, il est possible de dire que le livre repose sur quatre facteurs clés :
— l'intention de l'auteur,
— la recherche du lecteur,
— la vision de l'éditeur,
— la nature protéiforme du livre.

Si de rares auteurs acceptent la collaboration et l'écriture « collective », il faut bien reconnaître que l'écrasante majorité se livre à un exercice solitaire et intime qui ne s'accorde pas, au cours de sa phase de travail, avec l'intrusion extérieure. L'intention de l'auteur s'oppose de manière radicale au regard de l'autre. Au point que pour beaucoup, la simple remarque ou commentaire anodin peut remettre en question le travail. Ce dernier est essentiellement secret et le processus de libération par lequel l'auteur couche sur le papier/clavier sa mémoire et sa pensée demeure éminemment opposé à la participation, même sympathique ou amicale. L'auteur est donc souvent (mais pas toujours) dans une posture de révélation.

De l'autre côté du miroir, le lecteur n'est pas un passant innocent qui s'arrête par distraction sur une œuvre. Lire un livre est une action particulière et un effort singulier. Au delà de la gymnastique visuelle et intellectuelle du déchiffrement et de la compréhension, le lecteur est en quête pendant sa lecture. Il ne lit pas mécaniquement mais en projetant sa propre histoire, ses schémas de pensée, sa culture... La difficulté de son choix (celui d'être lecteur) est d'ignorer a priori la piste qu'emprunte l'auteur. Il peut utiliser de nombreux subterfuges pour essayer de contourner cette difficulté comme de lire des critiques, des commentaires, des éloges promotionnelles, des testimoniaux, voire même se faire raconter la chose par un autre lecteur. Cela ne lui procurera aucune des sensations de sa propre lecture.

Entre le lecteur et l'auteur se trouve une figure ambiguë et énigmatique, l'éditeur. Je ne parle pas ici du marchand de soupe mais de ce lecteur assidu, fidèle ou chevronné qui aime lire au point de vouloir en faire la promotion à tout prix. Cette passion (et elle est toujours vive chez de nombreux éditeurs) le positionne non comme médiateur entre le lecteur et l'auteur, mais plutôt comme un visionnaire. Car l'éditeur n'est pas seulement un passeur entre un auteur et son ou ses lecteur(s). Il est aussi l'élément fédérateur et souvent invisible d'une certaine idée, d'une forme de pensée, d'une école, ou même d'une idéologie. Au travers de son travail de sélection d'une part et de promotion et de diffusion d'autre part, l'éditeur évangélise et partage sa vision du monde au travers de cette double relation, à la fois ambiguë et parfaitement inexplicable.

Enfin, il y a la nature protéiforme du livre. Sa lecture est une expérience de sensations contradictoires, de bousculades intellectuelles, de résistances et d'adhésions, de combats victorieux et de capitulations. D'autre part, le contenu couvre une variété de sujets, de thèmes, de styles, de formes littéraires d'une diversité presque sans limites si l'on considèrent toutes les spécificités linguistiques. Il devient alors impossible d'en dresser un catalogue exhaustif des catégories possibles, comme l'essayent régulièrement les mauvais critiques littéraires et les banquiers de l'édition. Le livre est multiple pas sa forme, par son contenu, par les forces invisibles au premier coup d'œil qui sont à l'œuvre. Se fier aux caractéristiques normatives issues de la reproduction industrielle est déjà se tromper sur la nature véritable du livre qu'il soit édité sur papier ou bien sous la forme d'un fichier numérique.

A eux seuls ces quatre facteurs sont des obstacles insurmontables pour les modèles économiques des nouvelles technologies. Ils s'opposent à la culture de l'open source, car ils ne sont ni « open », ni « global ». Chaque livre est une aventure individuelle, singulière, prenante pour chacun des acteurs de sa production. Et je ne parle pas seulement des « œuvres ». Un simple guide pratique de couture peut se révéler une véritable odyssée éditoriale et s'avérer un best-seller inattendu.

La tentation est grande de vouloir s'orienter vers des modèles ouverts, coopératifs, relationnels pour permettre à l'édition numérique de trouver une nouvelle économie. Mais la singularité du livre, ou plutôt des livres, réduit à néant ce type de modèles qui s'articulent sur des mécanismes transparents et sur des attentes identifiables. La relation subtile qui lie l'auteur, l'éditeur et le public est alchimique et se manifeste sous la forme du livre. C'est une fois que le livre existe que la machine communautaire peut enfin se mettre en marche et remplir son office. Et c'est une fois que le livre est tombé dans le domaine public qu'il est nécessaire de l'intégrer dans un dispositif open source.

Il m'est impossible d'imaginer qu'un monument comme Les Essais (Montaigne) ou bien un opuscule incisif comme L'Ame de l'homme sous le socialisme (O. Wilde) auraient pu être composés ou écrit en Open Source. Pourtant je crois que dans un proche avenir, à l'instar de certaines expériences comme Wikipedia, des agrégations de savoirs et de textes seront d'authentiques corpus issus du Web 2.0. Mais pourrons-nous continuer à les appeler des livres ?

Je ne le crois pas.

lundi 24 août 2009

Livre numérique : Googleheit 451

En 1953, Ray Bradbury imaginait un monde où le livre était interdit, détruit à vue. En faisant à la fois une critique virulente du Maccarthisme et de l'apathie générale, il offrait au livre une ode pour la postérité. Interrogé récemment par la presse américaine sur l'impact du Web sur le livre et sur la diffusion du savoir et de la littérature, Ray Bradbury s'était montré à la fois hostile à cette invasion numérique et d'un scepticisme irréductible quant à la capacité du web à supplanter le livre sous une forme numérique quelle qu'elle soit.

On peut débattre de la position de Bradbury. Mais force est de constater que la guerre du livre numérique prend des allures de véritable croisade contre Google, défendu par peu et attaqué de tous côtés. En acceptant des règlements amiables à coups de dizaines de millions de dollars et en signant récemment des accords avec de prestigieuses institutions, Google apparaît comme un conquérant prêt à avaler la totalité du fond littéraire mondial. Fort d'un moteur de recherche spécialisé, Google Books, qui fonctionne bien et rend de réels services, et disposant d'une puissance de feu financière avec laquelle aucune institution culturelle au monde ne peut rivaliser, le géant du Web est en mesure de faire des propositions que nul ne se sent de refuser.

Face à lui, l'opposition se construit sans pour autant présenter un front uni comme le prétendent nombre de titres de presse dans leurs récents articles sur le sujet. D'un côté les activistes, les militants du gratuit et de la diffusion, comme Internet Archive, qui souhaitent poursuivre leur œuvre de conservation tout en permettant une ouverture à 360° du fond patrimonial et culturel. A leurs côtés, Microsoft, pionnier du monopole culturel, apôtre des DRM et des systèmes fermés, traîné à de multiples reprises devant les tribunaux pour ses monopoles de fait et son intense action de lobbying. Il y a aussi Amazon, incontournable et lui aussi champion des DRM et des monopoles de fait, n'hésitant pas à effacer des produits vendus à ses clients sans autre forme de négociation qu'un vague remboursement sous forme d'avoir. Jouant sur les similitudes, cette union improbable a pris le nom de OpenBook Alliance (qu'il ne faudra pas confondre avec Open Content Alliance). On pourra toujours se demander de quels livres ouverts parlent ces ardents défenseurs du verrouillage et farouches opposants à toute forme de partage... auquel ils préfèrent le terme de piratage.

Il ne reste pas moins que l'offensive de Google comporte des risques impossibles à mesurer aujourd'hui. En dépit de la devise de la maison : do no evil (ne pas faire le mal), un monopole de fait sur l'exploitation et la diffusion de propriété intellectuelle littéraire est la porte ouverte à la disparition pure et simple de ce qui pourrait s'avérer encombrant, gênant ou tout simplement en dehors des intérêts privés de l'entreprise. D'autre part, cela aura pour effet d'accélérer la transition vers le livre numérique et cela en dépit de la fracture numérique mondiale, du libre choix des lecteurs et surtout de la position des ayants droits, éditeurs et auteurs confondus. Tout comme le vynil a cédé rapidement la place au CD sans pour autant que les consommateurs aient leur mot à dire, une transition brutale pourrait avoir lieu dans le secteur du livre. Et ce ne sont pas les déclarations rassurantes de Jean Arcache, P-D.G. de Place des éditeurs, dans un récent entretien avec Challenges.fr qui sont de taille à arrêter une déferlante qui sera pareille à l'irruption de la VHS, de la K7 audio, ou du DVD.

C'est d'ailleurs là que le bas blesse, dans la faiblesse de l'argumentation des acteurs réels du secteur livre : les éditeurs et les auteurs. Si ces derniers attendent de voir ce que leurs éditeurs vont dire, les premiers s'illustrent par quelques déclarations peu convaincantes. On y lit la certitude du status quo, la persistance des modèles existants et la longévité extraordinaire du livre papier qui « a déjà été piraté avec l'invention de la photocopie et il s'en est bien sorti » (Challenges.fr - 21.08.09). C'est sous-estimer le courant naturellement centrifuge du web. Et c'est surtout occulter l'évolution des outils sociaux et des moteurs de recherche vers des rythmes de temps réel.

La récente affaire de 1984, de George Orwell, effacé avec quelques autres titres des appareils de la firme Amazon démontre la rapidité avec laquelle les opérateurs peuvent agir dans un marché électronique. Elle démontre aussi l'imminence du temps réel qui permettra de connaître une sortie, une mise en ligne, une actualité au moment même où elle se présentera sur un média, quel qu'il soit : télé, radio, presse, web ou même tout simplement dans la rue au moment où il se déroule. Cette instantanéité permettra aux utilisateurs les plus avertis (et certainement les plus influents car les plus rapides) de fabriquer la réputation d'un produit, d'un événement, d'une sortie, d'une intervention... Dès lors, le maigre délai de commercialisation qui restait aux produits culturels avant d'être livrés dans l'espace public à la critique, au partage, au détournement ou au franc succès sera réduit aux quelques jours de sa sortie.

Dans un tel monde, quelle place pour des processus de maturation éditoriale qui sont la règle d'or des éditeurs ? Quelle place aussi pour les numerus closus imposés par des moyens de production et d'investissements limités ? Si l'auto-édition sur le web séduit tellement c'est que les auteurs en herbe ont compris que le temps des happy few est dépassé. La proximité et la simplicité des offres sur le web est telle qu'il très difficile de résister à la tentation pour l'auteur et bientôt pour l'éditeur. Et c'est cela qu'a compris Google depuis l'introduction de son moteur de recherche sur le web. Dès ses débuts, le géant a toujours copié des méthodes de bibliothèques pour finalement s'en éloigner progressivement et obtenir le succès qu'on lui reconnaît.

Faute d'actions concrètes à ce jour de la part des éditeurs, ce sont les bibliothèques qui vont pouvoir venir sur le devant de la scène. Elles prendront la suite en bénéficiant des stocks d'invendus et de donations. Car il faudra bien liquider les stocks faute de pouvoir les écouler sur un marché dématérialisé et faute de pouvoir, comme dans le chef d'œuvre de Bradbury, les brûler tous pour faire de la place. Les bibliothèques n'ont rien à craindre du livre numérique. Elles sont les vraies bénéficiaires de la révolution en marche. Car leur fonction patrimoniale leur permet de conserver aussi bien le contenu de l'œuvre, de préférence sous un format ouvert comme l'ePub que l'ouvrage physique sous sa forme originale. Mieux encore, les bibliothèques seront les premières à bénéficier des nouvelles technologies d'impression de livres à la demande.

L'EBM Hardware (de la firme OBB) n'est que la première machine à fabriquer des livres à la demande mise sur le marché. Compacte et accessible, elle offre la possibilité, comme son nom l'indique, d'imprimer un livre au format classique avec couverture traditionnelle et reliure dos carré collé, à la pièce d'après un fichier numérique. Le défaut de ce procédé est le contrat obligatoire avec un géant de la distribution américaine, Ingram, au travers de sa filiale spécialisée dans les petits tirages, Lightning distribution. Car chaque fois qu'il y a une innovation technologique, il est certain qu'un acteur majeur se positionne en amont pour toucher la rente. Mais ce pionnier ne tardera pas à être copié en mieux par des spécialistes de l'impression numérique comme Canon, Xerox ou Minolta, tous désireux de se tailler une part du marché. Sous peu les modèles seront multiples et les investissements dérisoires.

Ce procédé souple et pratique, reproduit à des milliers d'exemplaires, préfigure probablement la nouvelle librairie numérique. Des tirages limités, sur mesure et sur demande, d'après un catalogue en ligne directement géré par les éditeurs eux mêmes. La portabilité et la transopérabilité des formats seraient de rigueur et demandent, d'ores et déjà, que le puissant syndicat de l'édition s'occupe de créer une véritable unité de travail afin d'établir des normes et des règles avant que les vendeurs de cartons, d'encres et de papier ne les devancent auprès des distributeurs et des prestataires traditionnels. Les librairies pourraient ainsi conserver leurs formes actuelles et les éditeurs leur rôle initial aussi bien que leur volet de diffusion. Seuls les systèmes de logistique et l'impression seront fortement ébranlés par la transition.

Le livre numérique n'apporte rien en soi, mais les éditeurs, les libraires et les auteurs peuvent bénéficier largement de cette nouvelle technologie et permettre au livre de rester le vecteur principal de diffusion du savoir et de la culture. L'intérêt de cette révolution est de pouvoir réduire des étapes lourdes et désormais inutiles dans le secteur de l'édition. Dans un dispositif d'impression à la demande sur le lieu de vente, les lecteurs numériques demeureront un accessoire marginal, réservé à des professionnels et à des utilisateurs et lecteurs gourmands. La mutation du livre pourrait donc avoir lieu sans pour autant faire disparaître le livre qui deviendra lentement, au rythme qui est le sien depuis toujours, un objet encore plus précieux qu'il ne l'est déjà.

Car le livre, qu'il soit numérique ou papier, n'est pas un objet de consommation. On ne consomme pas de la culture ou du savoir. Et il s'agira pour l'Etat de reconnaître que le livre ne se limite pas à sa parution papier et donc d'étendre les dispositions fiscales relatives au livre, à la presse à l'édition d'art à ces contreparties numériques, et ce sur toute la chaîne de fabrication, dès l'écriture jusqu'à la lecture. Une baisse de la TVA aussi bien sur les ventes électroniques de livres que sur les lecteurs numériques pourra bénéficier aussi bien aux fabricants qu'aux revendeurs, permettant ainsi au marché de se développer à une vitesse raisonnable et en permettant à tous les acteurs d'être gagnants.

Le livre numérique reste un projet d'avenir qui conserve le papier comme composante principale. La question est de savoir si les éditeurs demeurent une composante essentielle du secteur. La rentrée 2009 pourrait bien nous apporter des éléments de réponse... ou pas.

lundi 10 août 2009

Livre numérique : des perspectives mitigées

Quand Bookeen, BeBook ou iRex (tous fabricants de lecteurs numériques) se disputent des parts de marché, ce sont de simples querelles de chapelles. De même, les divergences fondées sur les standards de composition, le débat des pro et des contre DRM, les préférences sur les tailles d'écran ou la capacité de stockage ne sont que des escarmouches dans la guerre du livre numérique. En revanche quand les géants de la distribution et de la production de contenus tentent d'engloutir le marché, les effets peuvent s'avérer dévastateurs... Pour les libraires, pour les imprimeurs, pour les distributeurs, pour les diffuseurs, pour les éditeurs et pour... les auteurs.

Les effets de cette campagne presque militaire ne sont pas immédiats. Ils seront perceptibles dès que les éditeurs, tels de gros taureaux reproducteurs, se mettront en mouvement pour aller faire leurs saillies sur les laitières qu'on voudra bien leur présenter dans le pré. Une fois l'affaire faite, les géants Google, Microsoft, Amazon, Barnes & Noble, Sony, mais aussi ceux qui attendent bien tranquillement et qui seront dans le sillage comme Dell, Fujistsu, Apple, RIM, HP-Compaq, Asus tech, eBay, Nokia, HTC Corp et même Wal•Mart ainsi que tous les compétiteurs de la grande distribution et de l'informatique grand public prendront le contrôle du secteur le plus important du millénaire, celui de l'information et du savoir. Les éditeurs, quelles que soient leurs tailles, n'auront plus leur mot à dire et les utilisateurs seront conquis de gré ou de force.

A la différence du secteur de la musique où l'ouverture à des standards multiples et accessibles de compression du son ont permis une authentique démocratisation de la technologie et des contenus, le secteur du livre et de la presse s'apparente à la vidéo. Des contenus riches et volumineux, gourmands en ressources et en moyens, emprisonnent les textes et leurs images dans des formats développés et restreints par les chaînes de production du livre, du magazine et du journal. Si on ajoute à cela la dématérialisation des supports et des canaux de distribution, alors, à l'instar du marché de la vidéo, les éditeurs seront tenus par des standards techniques imposés par des marchands de cartons et des circuits de distribution dominés par les poids lourds du Web.

Dès lors tout ce qui ne sera dévoré tout cru par les gros sera jeté en pâture aux marginaux, aux pirates et aux inconditionnels du gratuit. En d'autres termes, toutes les maisons d'édition qui accepteront le nouvel ordre du monde viendront déposer leurs catalogues aux pieds des vainqueurs. Les autres, ceux qui refuseront ou résisteront, sans DRM, sans accès aux codecs propriétaires, seront condamnés au téléchargement illégal, aux copies pirates ou pire, à la diffusion restreinte et anecdotique sur des sites périphériques en marge du « Core Web » avec l'obligation de pratiquer les mêmes prix que la grande distribution. Seuls les éditeurs de luxe et de prestige conserveront un volant de collectionneurs fortunés qui continueront d'acheter des ouvrages rares, chers et précieux sur des papiers spéciaux et en tirages très limités.

En adoptant, tant les éditeurs que les lecteurs, une attitude de consommateur en attente qu'on lui fasse une offre, nous manquons tous de discernement et de compréhension des forces qui sont en action actuellement. Les imprimeurs et les chaînes logistiques seront les premiers à être réduits à leur strict minimum, puis démantelés pour être, progressivement mais rapidement, remplacés par des professionnels hybrides de la « Supply Chain » comme UPS. Les diffuseurs et les libraires seront dans la charrette suivante, dès que la dématérialisation sera en mode marche forcée et non en mode expérimental comme c'est le cas pour l'instant. Et là, il sera trop tard pour faire machine arrière.

Faute de s'être convertis et d'avoir apprivoisé de nouveaux canaux de vente, de nouvelles techniques de marketing et surtout une relation clientèle dont ils n'ont aucune habitude, les diffuseurs disparaîtront purement et simplement, remplacés par des applications intelligentes B2B et des outils de relations sociales. Les libraires les plus en avance se convertiront, s'affranchiront de la boutique avec pignon sur rue et utiliseront les outils de communication pour fédérer des communautés autour de thématiques, de genres, d'auteurs. Les seules librairies qui survivront seront très spécialisées dans des ouvrages d'art, des pièces de collection comme le font les antiquaires et les brocanteurs. Enfin des boutiques de quartier vendront encore longtemps des livres en papier, à la manière des cinémas d'art et d'essai. Il n'est pas sûr que ces boutiques soient tenues par des libraires de métier. Le reste sera un vague souvenir que l'on classera avec les apothicaires, les quincailliers et les cordonniers...

Les grandes enseignes de type FNAC, Cultura ou Virgin resteront-elles sur la scène ? Certainement pas sous leurs formes actuelles. La diversité de leurs offres leur permettra de contenir la marée numérique et de continuer de jouer la carte de la pluralité de produits. Tout comme les multiplexes cinémas se sont transformées en services de restauration rapide autour de la projection d'un film, ces grandes enseignes sauront se transformer en espaces numériques de présentation des dernières innovations technologiques et en agences de recrutement de clientèle pour toutes sortes d'offres d'abonnements et de « packs » culturels.

Que restera-t-il aux éditeurs ? Le stock d'invendus, les droits littéraires et leurs carnets d'adresses d'auteurs. Mais de leur métier de lecteur ? Et de leur passion du texte ? Pour cela il faudra revenir à la source et redevenir libraire. La tâche leur sera facilitée par le déploiement des outils de communication actuels à toutes les étapes de la production d'un livre. Mais leur exposition sera moindre, réduite à la portion congrue et ce à condition que les auteur(e)s ne cèdent à la tentation des agents, ne s'unissent en syndicats indépendants, ne fassent front face aux nouveaux maîtres. Et même dans ce cas, les éditeurs oscilleront selon les caractères entre super-agents et super-libraires...

Il ne restera plus aux auteur(e)s (et à beaucoup de journalistes) qu'à se soumettre ou à s'unir. Isolés, ils seront plus que vulnérables. Regroupés, ils pourront faire corps et sens pour proposer des contenus à des libraires numériques, à des portails culturels thématiques, à des éditeurs-agents capables de les représenter auprès des géants du numérique. Syndiqués, ils se protégeront des contrats léonins et des conditions ridicules qui ont été les leurs pendant des siècles. Ils pourront s'affranchir des organismes collecteurs et des sociétés d'auteurs qui parasitent leurs recettes. Mais ils pourront aussi, individuellement, mener leur propre barque, s'ils acceptent la confidentialité, les expositions dans l'ombre et les cultures tribales qui accompagnent la démarche des francs-tireurs.

Je force volontiers le trait mais cela dans le but d'alimenter du débat et de faire réfléchir. Les géants se moquent complètement du format final du livre numérique, du succès ou de l'échec des lecteurs numériques ou encore de l'application ou non de DRM. Ce qui les préoccupent est de savoir qui va contrôler le marché des contenus. Qui dira la messe. Qui fera la pluie et le beau temps. Pour mémoire, Microsoft n'a pas commencé par construire des ordinateurs, ni des écrans, ni des téléphones. Ses logiciels n'ont jamais été les meilleurs, ni les moins chers. Et surtout, il aurait été possible de s'en passer ou de ne lui laisser qu'une faible part du secteur. Rien ne nous garantit que le même phénomène ne se reproduise de manière analogue dans le secteur du livre.

Amazon a fait la démonstration que le livre est accessible ailleurs qu'à la librairie et Sony a celle qu'un standard inférieur et plus coûteux, le Blu-Ray, pouvait s'imposer face à un standard meilleur marché et de meilleure qualité, le HD-DVD. Barnes & Noble a fait, depuis longtemps, la preuve que le concept d'espace culturel n'est pas synonyme de culture. Enfin Apple a fait date en prouvant qu'un gadget peut devenir incontournable en seulement deux ans... La ligne d'horizon du livre numérique n'est pas aussi nette que l'on pourrait le croire. Et les jalons posés par les défricheurs ne seront certainement pas les pistes que suivront les mastodontes mondiaux de l'économie numérique.

mercredi 5 août 2009

Livre numérique : la guerre des marchands, le silence des éditeurs...

Depuis quelques semaines, les fabricants de lecteurs électroniques ont déclenché une guerre commerciale à l'échelle mondiale. Partout, l'on voit fleurir de nouvelles machines à lire des livres numériques. Les pionniers lancent de nouveaux produits en multipliant les modèles et en cassant les prix. Les nouveaux venus annoncent des produits prodigieux aux prix attractifs. Les distributeurs quant à eux annoncent des révolutions imminentes dans le domaine des offres et dans l'accès aux œuvres.

C'est la guerre. Sony, géant de l'électronique et principal acteur de l'innovation en matière de technologies des médias, déploie une communication mondiale, multilingue et diversifiée afin de s'assurer la suprématie sur un marché naissant et prometteur. Le récent rapport Forrester sur les futurs clients du livre numérique laissait entendre que le géant américain Amazon était dans une position délicate et que ses compétiteurs pourraient très bien lui damer le pion en venant à sa suite et en diversifiant les offres.
C'est dans cette brèche que se sont engouffrés Sony et Barnes & Noble (après avoir décroché un partenariat avec AT&T). C'est aussi à la lumière de ces récentes analyses, entre autres, que le petit monde de l'édition s'est éveillé à la place grandissante et incontournable que prenait Google books dans le paysage du livre numérique. A la fois agrégateur et diffuseur d'informations, le géant du Web truste aussi bien le volume d'ouvrages numérisés que le contrôle de la plus grande quantité de références disponibles en ligne.
L'engagement quasi-militaire de ces poids lourds du livre et des médias a entraîné tout le monde dans une conflagration commerciale mondiale. En seulement trois semaines, les nouveaux ereaders ont envahit tous les flux d'informations repris par tous les canaux de communication traditionnels et électroniques. Et avec cette invasion estivale sont arrivées nombre d'études, d'analyses plus ou moins pertinentes et d'avis sur l'avenir du livre et les promesses de la technologie (auxquels j'ajoute le mien).

Dans ce vacarme, personne ne semble avoir remarqué le silence inquiétant des principaux intéressés par cette effervescence technologique : les éditeurs.
Il y a certainement plusieurs raisons à cela et parmi les premières, la mollesse de la période plus propice aux congés (et aux lectures) qu'au business et aux effets d'annonces. Et si en France du moins, les maisons d'éditions tournent au ralenti pour cause de vacances à rallonges, il n'en va pas de même aux Etats-unis ou simplement outre-Manche. Peu de réactions de la part des principaux intéressés pourtant premiers ayants-droits de la plupart des œuvres numérisées à ce jour.
Ce silence est inquiétant. Non parce que les éditeurs ne disent ou n'écrivent rien. Mais parce que les fabricants de lecteurs électroniques et les grosses chaînes de distribution dématérialisées ne prêtent aucune attention au silence de leurs fournisseurs. La guerre des prix fait rage sur les machines. Les offres de vente de best-sellers pleuvent (et vont continuer de pleuvoir). Et le monde de la distribution en ligne semble ignorer complètement le poids déterminant des éditeurs. Comme si ces derniers, tels des exploitants agricoles européens n'avaient pas d'autre choix que d'acquiescer aux systèmes de vente qui seront mis en place, que d'accepter tarifs qui seront décidés par les marchands et que d'espérer du pays et de la Communauté quelques subventions pour faire vivre le métier.
En France, l'apathie notoire qui se dissimule derrière l'apparent calme olympien des éditeurs n'augure rien de bon pour les autres composantes du métier (imprimeurs, libraires, distributeurs physiques, prestataires de logistique). Les seuls à pouvoir tirer leur épingle du jeu seront les auteurs. Et bien que la plupart restent myopes aux opportunités qui leurs sont offertes durant cette période de mutation, beaucoup en sortiront plus forts qu'ils ne l'ont jamais été.
La réalité est que la plupart des groupes d'édition ne savent pas comment négocier la transition. Et cette incapacité est renforcée par la faiblesse du dispositif classique de l'édition française. Essentiellement articulée sur la diffusion et la force de vente auprès des distributeurs, les dispositifs français souffrent d'une part trop maigre pour l'édition et pour la recherche et le développement. Et cette dernière a surtout été assurée par des prestataires de service de fabrication. Enfin l'édition française continue d'avoir une vision assez nationale de son activité et ne mesure pas l'impact de la mondialisation économique car son secteur, francophone, était jusqu'à récemment épargné par cette dernière.

La guerre des lecteurs et des offres va sans aucun doute se poursuivre tout au long de l'année pour atteindre un premier pic après la période de Noël. Sony, fort de sa victoire écrasante dans le domaine DVD avec la suprématie de son standard Blu-Ray, compte bien essayer d'emporter une part très importante d'un marché naissant. Ses nouveaux modèles de Sony Reader pourraient très bien devenir la référence à défaut d'autre challengers que Amazon et son Kindle. Barnes & Noble espère pour sa part opérer une transition vers une économie numérique en développement constant et continuer d'offrir à sa clientèle des espaces de consommation et d'achat de livres en éliminant progressivement les limites de stock et de logistique. Enfin Google poursuit une politique de longue haleine, à gros renforts de moyens financiers et d'une perspective planétaire, qui lui permettrait de s'imposer comme la plus grande bibliothèque dématérialisée au monde.
Des francs-tireurs tels Apple ou Plastic Logic pourront venir jouer les troubles-fêtes dans cette bataille, mais les hypothétiques Tablettes et ePaper grand format n'auront qu'un impact marginal face aux déploiements de puissance commerciale et financière de Sony, d'Amazon ou de Goggle. Il est probable que les géants devront lâcher du lest sur leur culture du standard propriétaire afin de satisfaire une clientèle qui va quadrupler en trois ans, si l'on en croit les estimations de plusieurs instituts.
Le monde de l'édition française attend certainement de voir comment cette guerre mondiale va tourner avant de se mettre en action. Et il n'est pas la seul. Mais cette posture d'attente alliée à la certitude d'être indispensable pourraient bien s'avérer fatales pour le métier d'éditeur. Les géants de l'électronique, de la distribution en ligne ou tout simplement de l'Internet n'ont pas de considération pour des postes aisément supplantés par des agents indépendants, des systèmes de syndication de contenus, des marchés extrêmement volatiles et une abondance intarissable de talents. A vouloir attendre, il sera peut-être trop tard pour prendre le train en marche.