vendredi 29 mai 2009

Numérique, le mot valise à la mode

Numérique : qui concerne des nombres, qui se présente sous la forme de nombres ou de chiffres, ou qui concerne des opérations sur des nombres. Voilà une définition stricte qui a le mérite d'être claire. Pourtant, il ne cesse de fleurir toutes sortes de concepts auxquels on appose volontiers l'adjectif numérique et qui n'ont strictement rien à voir avec les nombres, les chiffres ou bien les opérations sur les nombres.

Il est vrai que numérique est le mot valise français permettant de ranger dans la catégorie TIC tout ce qui est augmenté par ces dernières. On parlera ainsi de livre numérique, de ville numérique, de journal numérique, de cinéma numérique, de photo numérique, etc. Comme si le changement de support changeait radicalement le contenu...
Le film, le roman, l'image ou la rue ont-ils été transformés par les supports, par les accessoires ou encore par les équipements qui leur sont ajoutés ? Les puristes diront que le « numérique » a modifié les habitudes, les comportements, les pratiques. Les conservateurs y ajouteront que la qualité n'est pas au rendez-vous, que le fond se fond dans la forme et que finalement la dématérialisation finit d'achever l'œuvre au sens funeste du terme.
Mais prenons le temps de l'examen. La soi-disante révolution numérique n'a rien de spectaculaire et n'a pas grand chose d'une révolution. L'émergence du papier contre les tablettes en argile, le parchemin (en peau de bête), les papyrus, les réglettes de bambous, a eu un impact beaucoup plus radical que la transition vers des écrans de lecture. Et pour aller plus loin, l'invention de la perspective dans la peinture est de loin beaucoup plus révolutionnaire dans l'histoire des images que le passage entre la photographie argentique et la captation digitale. Ces deux révolutions, à elles seules, ont non seulement métamorphosé leur environnement immédiat, mais ont changé les représentations humaines et sociales.
Alors où est la révolution numérique ? Où sont les nouvelles représentations du monde ? Où est la société nouvelle qui découle d'un changement si grand que l'on ne peut plus vivre à l'aune de la mentalité ancienne ?

Nulle part.

Le « numérique » n'est rien d'autre qu'un artifice visant à distinguer des générations et à tenter de créer une frontière illusoire entre un monde ancien et un monde nouveau. Or cette frontière invisible, intangible et immatérielle, n'existe pas. Il n'y a pas plus de différence entre un livre en papier et un livre numérique qu'entre un livre de poche et un album de bande-dessinée. De même, il n'y a pas plus de différence entre un film 35 mm et un film numérique qu'il n'y a de différence entre le cinéma de Steven Spielberg et celui des Frères Dardenne... Les faiseurs d'œuvres ne changent pas grands chose à la manière de faire leurs œuvres et les techniciens ne font que mettre en œuvre de nouveaux outils plus perfectionnés mais entièrement articulés sur des concepts connus et éprouvés.
Alors pourquoi chercher à faire une différence entre le numérique et le reste ?
Parce qu'il y a une réelle volonté de toute une génération à vouloir se singulariser, à vouloir créer une spécificité. Mais cette volonté ne s'appuie pas sur un discours, ou bien sur une esthétique. Elle n'a pour socle que l'apparence d'une supériorité scientifique sur la nature assez intuitive et empirique des prédécesseurs.
Ainsi la ville numérique serait supérieure à la ville tout court. La voiture numérique serait plus efficace que la voiture « normale ». Le numérique s'imposerait partout comme une marche supplémentaire dans le développement des sociétés avancées, scientifiques, modernes et post-modernes. On pourrait même se demander si le « numérique » ne serait pas la conséquence logique du post-modernisme. La fin de l'homme, de son histoire, l'aplatissement de la planète, l'anéantissement des distance, l'écrasement du temps au seul présent, tout cela contribuerait à façonner un monde numérique, fait seulement de chiffres et de lettres désarticulées.
Mais voilà, il y a une frontière bien réelle et très concrète qui se charge à chaque instant de réduire la mode numérique à peau de chagrin : et c'est le corps. Et oui, il faut encore manger de la nourriture classique, dont on s'évertue à mesurer en chiffres les composants, mais que l'on est bien incapable de préparer correctement la plupart du temps et encore moins d'aller la produire. Il faut aussi boire, dormir, marcher, courir pour attraper le bus ou le métro ou le train, conduire la voiture (qui tombe encore plus souvent en panne depuis qu'elle embarque une grande quantité d'électronique)... Le corps nous impose le réel. Et la seule intelligence, si fascinée par le numérique, est encore complètement dépendante du corps.
C'est lui la dernière frontière à franchir : le corps. C'est le théâtre des révolutions de demain. Alors à quand le corps numérique ? Ou devrons-nous laisser tomber la mode du numérique pour entrer davantage dans le monde (et non la mode) des nanotechnologies...?

samedi 23 mai 2009

Les trois raisons de la disparition du livre et de la presse

On aura beaucoup lu sur la crise de la presse et sur celle du livre. On les aura attribuées à toutes sortes de facteurs : désaffection, désamour, recul de la lecture, partialité des contenus ou des choix éditoriaux. Cette crise double touche toutes les composantes de l'information sur papier. Mais curieusement, il n'aura jamais été question des trois raisons majeurs qui viendront à bout de l'industrie du livre et des papiers de presse. Car le problème est moins l'information que le support.
J'entend déjà les uns dire c'est la faute de l'Internet, ce média diabolique et incontrôlable qui dévore l'ancien monde pour lui substituer une bouillie informe et dépourvue de valeurs et de sens... D'autres, peut-être plus subtils, diront c'est le lobby corporatiste des imprimeurs et des fabricants de papier. Puissance majeure depuis que l'information est véhiculée par écrit, la corporation composite des imprimeurs et papetiers (et de tous les corps de métier qui leur sont associés) n'a cessé d'augmenter son influence et d'être le levier politique et économique sur la scène publique. D'autres encore, plus sensibles aux problématiques économiques, diront que ce sont les monopoles de fait des chaînes de distribution et de diffusion qui font et défont les titres, enterrent ou portent aux nues les ouvrages...
Aucun de ces trois fléaux pourtant nocifs ne sera la cause du déclin et de la disparition du livre et du journal tels que nous les avons feuilletés pendant les quatre derniers siècles.
Nous entrons maintenant dans une ère de préservation de l'environnement. Et non par choix délibéré et spontané mais bien parce que nous avons saccagé la planète et elle commence à nous rendre la monnaie de notre pièce sous la forme de catastrophes naturelles ou sanitaires diverses et variées. A cette nouvelle époque correspond une nouvelle donne qui va mettre hors jeu toutes les industries sales, peu respectueuses de l'environnement et contre productives en matière de protection de l'écosystème. Comme nous ne pouvons pas tout faire en même temps, ce sont dans l'ordre croissant les plus faibles qui seront neutralisées les premières au profit des plus puissantes qui seront transformées à la fin.
Au cours de cette transformation, les industries du papier et de l'imprimerie vont très rapidement apparaître comme polluantes, contre-productives et surtout comme agissant au mépris total de la nature et de la communauté. Les trois raisons de leur disparition seront simples. Le papier, l'encre et le vernis sont parmi les agents les plus nocifs et les moins respectueux de l'environnement humain, animal ou végétal. Et je n'entrerais pas ici dans le détail des agents nocifs, des poisons et des composés chimiques qui entrent dans la composition des encres, des vernis, des pelliculages et de l'ensemble des produits détergents et industriels nécessaires à la fabrication du papier, qu'il soit de luxe ou pas. Malgré tous les efforts produits par l'industrie elle-même pour limiter la casse, la production de papier demeure une menace pour la planète.
Ce qui vient s'ajouter à l'empoisonnement et à la pollution liés à cette industrie, c'est l'hypocrisie du recyclage pour masquer une gestion déplorable des matières premières, c'est-à-dire nos forêts, une destruction d'essences originales au profit de la création d'hectares de végétaux à croissance rapide, nocifs pour les sols et ne procédant d'aucune technique biologique propre. Ce gaspillage constant et impossible à stopper tant la demande en papier est forte et toujours plus grande est l'élément le plus rebutant de cette industrie du papier.
Dans un monde où certes la littérature et la presse décroissent, mais où la demande en documentations techniques, spécialisées, juridiques et de chancellerie augmentent de manière vertigineuse à mesure que de nouveaux entrants viennent prendre leur place dans l'arène économique mondiale, le papier est condamné à devenir électronique sous peine de voir son coût dépasser celui d'une autre ressource centrale dans notre société, le pétrole.
Et oui, le papier est condamné à disparaître à cause de sa composition et des techniques d'impression. Les acteurs en place n'y croient pas. Ils espèrent une transformation lente comme celle qu'est en train d'esquisser l'industrie pétrochimique. Mais la réalité est bien différente. Les administrations poussent fortement pour une réduction du papier et des documents physiques. La lecture et l'information se dématérialisent davantage chaque jour, réduisant dramatiquement le nombre de lecteurs potentiels et diminuant la qualité de la faculté de lecture des individus. Des acteurs majeurs comme Quebecor ou Jouve commencent discrètement à faire passer leurs grands comptes du papier au numérique. Alors ouvrez les yeux, le document en papier agonise...
Oui, il restera encore quelques collectionneurs pour faire tirer telle ou telle œuvre et s'adonner à cette activité étrange de la lecture sur le papier à la lumière d'une lampe de chevet. Mais l'industrie du papier compte ces dernières années de survie. Le temps est proche où le public aura la même aversion pour le papier qu'il n'a pour le Paraben, l'Arsenic, les OGM ou le gaz carbonique. Ce sera la fin du papier destiné à la connaissance. Il faudra alors s'attaquer au suivant sur la liste, l'industrie de l'emballage et du carton...

mardi 19 mai 2009

Le micro-blogging tuera-t-il le blogging ?

On le voit partout, le dialogue en temps réel est en train de dévorer tout cru l'espace autrefois dédié au blogging. Que ce soit au travers de Facebook, de Twitter ou d'une messagerie instantanée, le grand public du Web préfère bien souvent la petite phrase, la réaction spontanée ou la photo/vidéo choc plutôt que le billet travaillé et réfléchi. Est-ce que pour autant le micro-blogging et le Web en temps réel va éradiqué la blogosphère du web 2.0 ?
On pourrait croire que le succès des logiciels de bureau permettant de suivre en temps réel son Facebook et ses Twits et bien d'autres applications participatives et sociales éclipse le fond de production littéraire, sonore et audiovisuel du Web mais il n'en est rien. La vague Twitter, Friendfinder, Facebook et autres va effectivement marquer le passage à une nouvelle étape de l'activité du Web et surtout de sa construction. Le micro-blogging est le point de convergence de la téléphonie mobile et de la communication communautaire.
Cette nouvelle étape va voir une partie encore indéterminée des blogs individuels d'humeur disparaître au profit d'une participation active des internautes au RTW (Real Time Web). Cette portion représente tous ceux et celles qui reprenaient déjà sur leurs blogs ou bien sur leurs comptes Youtube, Flikr et autres agrégateurs/hébergeurs de médias et de contenus les propos et les productions d'autres. Les valeurs rajoutées de cette reprise était de manière directe le commentaire souvent de qualité inégale et de manière indirecte le classement Google souvent sans rapport avec la valeur réelle de tel ou tel sujet.
Il est donc heureux et même logique de voir apparaître cette nouvelle catégorie (le RTW) dans la construction du Web. Elle représente une majorité d'Internaute qui emploient le Web comme un vecteur de communication et/ou d'information et non comme un vecteur de discours et/ou de culture. Le micro-blogging permet ainsi de produire une communication/information historique. De l'autre côté, le blogging continue d'être la meilleure forge individuelle de discours et de culture qui sera repris dans les canaux du micro-blogging par les uns et les autres et qui suscitera des dialogues laissant des traces historiques.
Il est donc probable que l'activité de blogging connaisse une décroissance naturelle qui correspond au déplacement d'une partie de la population communicante d'un canal en temps différé vers un autre canal en temps réel enregistré (ce qui le différencie encore une fois de la messagerie instantanée). Mais de là à voir disparaître la blogosphère... Aucune chance. Ce qui est plus certain c'est de voir disparaître les derniers vestiges des sites statiques à la fois des moteurs de recherche (submergés par le volume d'interventions du micro-blogging) et tout simplement des pratiques des utilisateurs.
Le Web 2.5 (comme le nomment certains) ne va pas occulter le Web 2.0. Il va juste achever le Web statique comme outil individuel et radicalement changer son utilité pour les collectivités, les entreprises et les institutions publiques. Espérons que ces derniers ne mettront pas dix ans de plus à adopter les nouvelles pratiques comme ce fut le cas lors des dernières innovations technologiques IT.

lundi 11 mai 2009

Relance de l'économie numérique, une autoroute vers le vide

Le gouvernement a annoncé son plan de relance de l'économie numérique. Il a le mérite d'exister. Il est doté de 800 M€. Faisons la fête et préparons nos dossiers...

Stop.

Comme pour les contrats d'assurance, il faut lire les petites lignes en bas de la page.
En fait, 750 M€ iront au déploiement de la Fibre optique afin de doubler le nombre d'abonnés en Fibre. Free annonce qu'il a déjà connecté 4 millions d'utilisateurs. Nathalie Kosciusco-Morizet souhaite en ajouter 4 millions supplémentaires. Nous voilà donc amputés de la part du lion qui ira sans nul doute à FT et à ses amis du CAC 40. Les 4 millions d'abonnés supplémentaires payeront plus cher une connexion et un débit qui ne leur apportera rien de mieux que ce qui est déjà en place. Ces 4 millions quitteront les statistiques des foyers français les mieux équipés pour rejoindre celles toutes nouvelles des foyers français suréquipés. Les entreprises seront également bénéficiaires de ces solutions au prix fort.

Reste quand même 50 M€. Et ce n'est pas rien.

Enfin presque puisque 30 M€ iront aux éditeurs de jeux vidéo qui prennent la claque de l'industrie du support optique, a.k.a. DVD, CD et consorts qui souffrent plus que les autres du téléchargement et de la concurrence mondiale puisque les jeux ignorent les frontières, ne connaissent pas de zonage comme les DVD et se retrouvent en vente pirate dans n'importe quel aéroport asiatique le lendemain de sa mise sur le marché. Mais cette fois, plus question de jeter l'argent par les fenêtres. Les éditeurs de jeux vidéos vont travailler sur des jeux sérieux, des jeux d'entreprises, pour des entreprises sérieuses.
A part IBM qui s'est largement implanté sur Second Life, on voit mal quelles sont les entreprises qui vont commanditer des jeux d'entreprise en ligne ou en vidéo sur des marchés où les CD-ROM de formation n'ont jamais marché, où les jeux d'entreprise restent marginaux et où les budgets de formation sont d'une maigreur à faire pâlir une vache éthiopienne...

Mais bon, il reste 20 M€. Et ce n'est pas beaucoup mais c'est déjà ça...

Enfin presque puisque ces 20 M€ seront destinés à des plates-formes de web 2.0 (comprenez des CMS) permettant de faciliter et de faire connaître les services des institutions françaises... La République fera appel à des éditeurs de logiciels français (ou étrangers ayant filiales en France) pour concevoir des « solutions collaboratives »...
Il existe à ce jour des dizaines de solutions collaboratives gratuites, performantes, diverses et capables de convenir à n'importe quel projet institutionnel aussi complexe soit-il. Pourquoi aller donner 20 M€ à des éditeurs de logiciels qui n'ont pas jusqu'ici démontré leur capacité à concurrencer les étrangers par des produits performants ? Pourquoi subventionner ce qui ne marche pas d'un point de vue purement industriel et capitaliste ? Dans le monde numérique, il y a ceux qui ont une bonne idée et qui trouvent naturellement un public, et donc un marché. Et il y a ceux qui n'ont pas d'idées ou de fausses bonnes idées et qui disparaissent. Pourquoi diable entretenir des perdants ?

Mais bon, c'est toujours mieux que rien.

La conclusion de tout cela, à chaud et sans recul, est une absence totale d'investissement sur l'avenir. Pas de fond d'investissement ou de mesures incitatives pour la création de sociétés innovantes en matière de IT. Pas de subventions pour les innovations techniques. Pas de laboratoire institutionnel de l'innovation. Pas de contenus pour garnir toutes ces autoroutes de l'information et de la communication. Pas de label IT du futur. Même pas un pauvre concours primé pour stimuler l'innovation technique et industrielle... En bref rien pour le futur. Venant de l'institution chargée de la prospective, c'est un poil décevant.
Il faudra donc aux entrepreneurs français qui ne sont pas dans le sérail qu'ils aillent chercher une fois encore de l'argent et des investissements ailleurs... et vu la mollesse des banques françaises...